D'autres types de réglementation sont également visées – et là l'on entre dans ce que l'on pourrait sans forcer sur les mots considérer comme du crime organisé. Ce sont par exemples celles qui dans chaque Etat, sous l'influence des administrations de la santé, visaient à protéger les citoyens contre les abus du tabac, de l'alcool, des drogues – et pourquoi pas, pendant que l'on y est, contre les contrôles et restrictions de vitesse sur les routes, pouvant être présentées comme nuisant au libre droit de circuler sans entrave, autrement dit de tuer.
Il est bien évident que l'essentiel de ces intérêts corporatifs sont basés aux Etats-Unis, dans l'industrie, la banque et les services. Il n'est donc pas étonnant qu'ils fassent depuis des années pression sur l'administration américaine pour qu'elle prenne la tête des négociations visant à imposer aux autres Etats dérégulations et privatisations. Sauf dans certains secteurs où les autorités américaines veulent protéger les intérêts de leurs électeurs, comme dans le domaine agricole, les lobbies américains, la diplomatie des Etats-Unis et Barack Obama qui représente l'ensemble au niveau des chefs d'Etats, exercent une pression incroyable pour que les négociations entreprises avec l'Europe comme avec les pays du Pacifique aboutissent au plus vite, malgré les résistances des intérêts nationaux menacés de disparition.
Mais il ne faut pas être naïf. L'on n'est pas en présence de méchants intérêts corporatifs américains opposés à de gentils Etats tout dévoués à la défense de leurs citoyens. Quand on peut avoir connaissance du détail des négociations, l'on découvre vite que beaucoup de ces Etats, y compris en Europe, jouent sans hésiter le jeu des intérêts corporatifs américains, quand ceux vont dans le même sens que les intérêts des lobbies nationaux. C'est le cas par exemple dans le domaine bancaire, où l'ensemble des établissements financiers s'oppose actuellement à des mesures dites de réforme du système bancaire, visant par exemple à séparer les activités de dépôt au service de l'économie d'avec les activités boursières, au service des actionnaires et fonds spéculatifs. Prendre de telles mesures de réforme, disent-ils, compromettrait les importants bénéfices attendus d'une totale déréglementation du système bancaire mondial.
Pour que de telles négociations soient menées et aboutissent en dehors des citoyens qui en seront cependant principalement les victimes, il faut qu'elles se déroulent dans un secret absolu. Sinon des associations représentant les intérêts desdits citoyens pourraient susciter des oppositions plus ou moins énergiques. D'où les précautions prises, à la demande des lobbies dominants le marché, pour qu'elles soient menées dans des conditions telles que, ni les citoyens concernés ni les administrations nationales ayant pour mission de les défendre, puissent être informées dans le détail de leur avancement. Quand elles seront terminées, elles aboutiront à un énorme volume de décisions visant à supprimer les réglementations en vigueur et à transférer les pouvoirs d'arbitrage à des organismes ad hoc, situés évidemment outre-atlantique. Le tout sera à prendre et à laisser. Les Etats européens, pénétrés d'atlantisme et aussi par des lobbies nationaux, on le devine déjà, ne s'y opposeront pas. Ils prendront le lot entier, y compris en disant merci aux négociateurs vu de l'important travail fait.
La Commission européenne
Dans le monde cependant, de nombreuses zones régionales sont représentées par des organismes communs, avec qui il est évidemment plus facile de discuter. C'est le cas de l'Union européenne, où les négociations pour le TIP et le TISA sont menées par la Commission européenne, avec l'accord d'ailleurs du Conseil des ministres représentant les Etats-membres, lequel n'avait ni les moyens ni la volonté de piloter une telle tâche. Tout aurait été bien si la Commission avait été la fidèle représentante des intérêts nationaux, lesquels sont aussi souvent les intérêts de la masse des citoyens. Mais la Commission a toujours été en proie aux lobbies, cherchant à la coloniser à leurs profits. Parmi ces lobbies, les plus actifs et dotés des plus grands moyens d'influence (de corruption) sont ceux représentant les intérêts corporatifs américains, relayés par les cercles d'influence chargés de faire pénétrer en Europe les consignes de la diplomatie de Washington. Cette dépendance à l'égard de l'étranger non-européen est d'ailleurs à la source du mouvement de rejet de l'Europe manifesté par un nombre croissant de citoyens.
Tous les commissaires européens ne sont pas cependant à ranger dans le même panier. Certains se comportent plus dignement que les autres. Mais souvent mal leur en prend. Leur carrière peut en souffrir. C'est le sort qu'a subi il y a quelques années le commissaire maltais John Dalli, poussé à la démission en octobre 2012 à la suite d'une affaire de corruption présumée liée à l'industrie du tabac.
« Le 7 juillet prochain, de hautes personnalités de l'Union européenne sont convoquées pour témoigner devant le Tribunal dans l'affaire Dalli", a annoncé le Tribunal européen qui siège à Luxembourg. Outre M. Barroso et l'ancien commissaire Dalli, le tribunal a demandé à entendre le chef de cabinet de M. Barroso, Johannes Laitenberger, le directeur général du service juridique de la Commission, Luis Romero Requena, l'ancienne chef de cabinet de M. Dalli, Joanna Darmanin et l'ancien porte-parole de M. Dalli, Frédéric Vincent. » La justice européenne cherche à déterminer si la décision par laquelle M. Barroso a demandé la démission de l'ancien commissaire John Dalli est légale ou non.
Ancien commissaire européen à la Santé, John Dalli, a été poussé à la démission par M. Barroso en octobre 2012 pour trafic d'influence présumé. Depuis sa démission, il ne cesse de proclamer son innocence. Il affirme avoir été victime d'un complot de l'industrie du tabac qui l'aurait piégé alors qu'il s'apprêtait à présenter une nouvelle proposition de loi européenne pour durcir la législation antitabac.
Vous avez bien lu...M. Barroso. Espérons que son successeur le rigide Jean-Claude Junker, n'aura pas de ces faiblesses. Quoiqu'il en soit cette affaire montre bien les effets pernicieux, voire catastrophiques, du secret de négociation qu'imposent les corporations relayés par l'administration américaine. L'opinion publique peut tout suspecter.
Pour en savoir plus
L' « affaire Dalli » http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/06/19/97001-20140619FILWWW00143-affaire-dalli-barroso-devant-le-tribunal-de-l-ue.ph
* TTIP. Négociations Bruxelles-Washington http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1398&r_id=
*TAFTA: Naïveté ou soumission volontaire des Européens. http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1346&r_id=
* Partenariat transatlantique TTIP. Faut-il s'étonner que le gouvernement perde les élections locales ?
http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1287&r_id=
*TTIP ou Valmy http://www.europesolidaire.eu/article.php?article_id=1121&r_id=
Autre
Quand l'Europe veut déréguler la finance internationale
http://www.marianne.net/Traite-transatlantique-quand-l-Europe-veut-dereguler-la-finance-mondiale_a239869.html